Avis sur le livre : Les enténébrés

Dans son nouveau roman, l’écrivaine et psychanalyste sonde les gouffres qui la constituent et livre un bloc de littérature et de vérité. Du réchauffement climatique, aux conséquences innombrables, les hommes sont à la fois les responsables et les victimes, comme de tant de phénomènes qui plongent les personnages de ce livre dans les ténèbres. Des mois à cacher sa double vie C’est cette imbrication que décrit assez magistralement Sarah Chiche, en réussissant à tenir ensemble plusieurs fils narratifs. Il y a, comme point de départ, l’histoire d’amour entre la narratrice, une Sarah Chiche qui, à l’image de l’auteure, écrit des livres et exerce comme psychanalyste à Paris, et un homme, rencontré à Vienne à l’automne 2015. Avec ce Richard K., musicien mondialement connu assez âgé pour être son père (qui est mort, lui, avant ses 2 ans), elle va connaître, entre les capitales française et autrichienne, une passion qui ne remet pas en question le couple qu’elle forme avec le père de sa fille, psychanalyste et philosophe travaillant sur le mal et la fin du monde. Elle qui « hai[t] le mensonge » va passer des mois à cacher sa double vie. Tandis qu’elle mène cette existence, elle tente de découvrir la vérité sur l’histoire de sa mère, Eve, « une femme bien trop belle qui se réfugiait dans la bêtise pour s’empêcher de penser », dont le père fut déporté politique à Buchenwald, d’où il ne revint pas tout à fait. Ayant quitté sa femme et sa fille pour partir en Côte d’Ivoire, il y imposera à la seconde, venue le rejoindre, (mais aussi à d’autres adolescentes) des sévices dont la narratrice reconstitue « le monstrueux puzzle ». Cette Eve, brisée mais vaillante, immature, traumatisée, brave, ayant perdu avant d’avoir 30 ans un mari adoré, exercera sur Sarah d’autres formes de violence.

Raphaëlle Leyris, Le Monde - 3 Janvier 2019