Avis sur le livre : Tumulte

La réticence ancienne éprouvée par Hans Magnus Enzensberger devant toute entreprise autobiographique n’a pu céder qu’à un hasard, celui d’avoir retrouvé dans sa cave « un tas de papiers oubliés : lettres, carnets de notes, photos, coupures de journaux, manuscrits laissés en plan ». D’où la publication de quelques-unes de ces « archives de lui-même », portant principalement sur les années 1960. Elles sont assorties d’un long dialogue, de poèmes, de mises à jour qui corrigent, par leur scepticisme lucide sur le personnage d’autrefois, l’image de dernier des Mohicans soixante-huitard. Bien des éléments d’une existence complexe et vagabonde, en partie menée dans l’ex-bloc de l’Est, sont ici dévoilés, à commencer par le « roman russe » d’Enzensberger, l’amour-passion qui, en 1966, attacha tumultueusement ses pas à ceux de Macha, sa seconde femme. Son séjour à Cuba avec Macha donne une idée plus légère du monde figé de la guerre froide bien que, sous le style ironique, la tristesse ne tarde pas à affleurer. La tragédie épaule la comédie de la politique, que l’auteur aime à comparer aux coups de bâton échangés au Kasperletheater, l’équivalent allemand du guignol. On rit beaucoup, mais parfois jaune.

Nicolas Weill, Le Monde - 3 Mai 2018