Avis sur le livre : Suite vénitienne

Une interférence téléphonique des plus fortuites – la voix d’une femme angoissée semblant donner rendez-vous à son amant au pied du pont de l’Académie, à Venise, pour un dernier adieu – et voilà que, sur la piste de cette inconnue, l’enquête de Francesco Soria se met en route. Soria est un compositeur de musiques de films. « Amusé », « excité », « piqué de curiosité », l’homme se plaît à jouer avec ce caprice du hasard qui a fait arriver jusqu’à lui l’intrigant fragment de l’histoire d’autrui. Guidé par la seule logique d’hypothèses pas toujours rationnelles, il entraîne le lecteur dans un labyrinthe de coïncidences suspectes. La temporalité elle aussi semble floue. Nous sommes dans cette « fraction imprécise de temps où rien n’est jamais certain mais où tout semble encore possible ». Mort en mars, Alberto Ongaro (1925-2018) était le dernier de la « bande de Venise », qu’il formait notamment avec l’auteur de bandes dessinées Hugo Pratt (1927-1995). Auteur d’une œuvre saluée pour sa capacité à renouveler la littérature populaire romanesque, il offre ici une aventure atypique au rythme enlevé. Un petit bijou qui subvertit élégamment les codes du thriller tout en nous piégeant dans les tourbillons troubles de la fiction et du réel.

F. C.-S., Le Monde - 12 Avril 2018